Discours prononcé le 5 novembre
2023 lors de la célébration du
soixantième anniversaire de la
création de l’Ordre National du
Mérite
Mesdames, Messieurs, en vos grades
et qualités, Chers Compagnons,
Mesdames Messieurs ;
En cette année 2023, nous célébrons
le soixantième anniversaire de la
création de l’Ordre National du
Mérite par le Général de Gaulle le 3
décembre 1953 : j’en rappellerai
brièvement l’historique et les
finalités.
L'histoire montre que les
collectivités humaines ont toujours
accordé à celles et ceux qui les
avaient exceptionnellement servies
des marques d'honneur totalement
gratuites et destinées à conférer à
leurs bénéficiaires un prestige
moral dégagé de tout intérêt
matériel.
A l'origine, il s'était agi
d'exalter la vaillance guerrière,
d'autant plus nécessaire que les
communautés étaient encore fragiles
et réclamaient une protection
proportionnée aux menaces dont elles
étaient entourées.
La chevalerie médiévale était issue
de cette fragilité. Jusqu'à la
révolution, les ordres
chevaleresques furent exclusivement
militaires. Les honneurs désignant
leurs titulaires au respect de leurs
compatriotes étaient concédés au
cours d'une cérémonie réglée par un
rituel rigoureux qui en accentuait
le rayonnement.
En 1802, après que la Convention eut
aboli ces honneurs au nom de
l'idéologie égalitariste, Bonaparte
estima nécessaire et juste de les
rétablir. En créant la Légion
d'honneur, il montra qu'il était
désormais souhaitable de glorifier
les citoyens qui consacraient à la
Patrie leur savoir, leur
intelligence et leur énergie
pacifique, avec les mêmes solennités
que ceux qui combattaient pour elle.
C'est dans cet esprit, alors qu'il
aurait pu choisir un des nombreux
soldats qui s'étaient illustrés dans
ses campagnes, qu'il désigna le
paisible comte Bernard de Lacépède,
écrivain, naturaliste et membre de
l'Institut, comme premier chancelier
de l’Ordre.
Après la Légion d’honneur, le 18
septembre 1811, Napoléon 1er
créa l’Ordre impérial de la Réunion
en vue de récompenser les services
civils et militaires rendus à
l’Empire par des français ou des
étrangers.
152 ans plus tard, le général De
Gaulle s’inspirant directement de la
tradition impériale a voulu doter
la France d’un second Ordre
National, l'Ordre national du Mérite
dont le ruban bleu de l'insigne
rappelle celui de l'Ordre impérial
de la Réunion, instauré par
l'empereur mais qui fut abrogé par
Louis XVIII pour des raisons
politiques et idéologiques.
L'Ordre National du Mérite est
destiné, comme l'avait été celui
dont il s'inspirait, « à récompenser
les services distingués, civils ou
militaires, rendus à la nation ».
La Légion d'Honneur et
l'Ordre National du Mérite sont les
deux ordres nationaux que la
puissance publique peut accorder à
ses meilleurs serviteurs. Il est
nécessaire, à ce sujet, de préciser
la différence qui distingue
l'insigne d'un Ordre d'une
décoration, les deux termes étant
souvent confondus alors même qu'ils
ne sont aucunement synonymes.
Certaines décorations, certes, sont
auréolées d'un prestige
exceptionnel, la Médaille militaire
par exemple, qui occupe une place
privilégiée parmi les récompenses
attribuées par la nation. Mais elles
procèdent d'un autre esprit : en
principe, la décoration n'engage pas
celui qui la reçoit. Elle témoigne
d’un acte ou d’un comportement
remarquable sans imposer
d’obligation particulière à celui
qui en est titulaire.
La remise de l'insigne de l'un des
deux ordres nationaux procède d'une
autre conception. Il s'agit de
l'entrée de l'intéressé dans une
assemblée fermée, soumise à des
règles strictes, placée sous
l'autorité du chef de l'Etat, revêtu
de la dignité de Grand maître, qui
l'engage à conformer dès lors, les
actes de sa vie publique et privée
aux règles de cet ordre, d'une
rigueur morale extrêmement
exigeante : dire de quelqu'un qu'il
a été décoré de l'Ordre national du
Mérite constitue une flagrante
inexactitude. Il convient de dire
qu'il a été admis dans l'Ordre, ou
qu'il a reçu les insignes
d'appartenance à l'Ordre. C'est la
raison pour laquelle nul ne peut se
prévaloir de cette qualité avant d'
y avoir été solennellement reçu
conformément aux règles du
protocole.
Dans l'esprit de leurs
fondateurs respectifs l'Ordre de la
Légion d'Honneur et l’Ordre National
du Mérite étaient inspirés des
fraternités médiévales ayant
engendré la chevalerie et les
sociétés d'initiés. Toutefois, s'ils
furent une résurrection des antiques
congrégations spirituelles où la
noblesse permettait seule d'être
accueillie, leur idéal subordonna
désormais au mérite ce qui, jadis,
n'était dû qu'à la naissance :
l’admission dans l’Ordre crée des
devoirs sans accorder des droits.
Les femmes et les hommes appelés à
appartenir à l'Ordre national du
Mérite ne peuvent se flatter d'aucun
privilège particulier. Ils savent au
contraire qu'ils sont investis des
impératifs les plus exigeants. Telle
est la grandeur de cette fraternité
qui réunit, avec des personnalités
connues, savants, écrivains,
artistes, chefs d'entreprises et
militaires de haut rang, des
Françaises et des Français
d'extraction modeste qui ne doivent
rien à leur naissance, rien à leur
situation sociale mais qui, toutes
et tous, en s'engageant, ont apporté
le meilleur d'eux-mêmes à la
collectivité nationale.
Avoir été admis dans l’Ordre
National du Mérite n'est ni une fin
en soi, ni une consécration
définitive: cela prouve au contraire
que l’on entend faire partie de ces
citoyennes et de ces citoyens
engagés qui s'obligent à vivre et à
faire vivre plus encore les valeurs
de la République.
Ainsi, alors même que notre société
se trouve confrontée à des formes
graves et pernicieuses de menaces,
où il semble de bon ton à quelques
petits esprits de ridiculiser
parfois des actes de pur dévouement,
où la tendance au chacun pour soi
aboutit, trop souvent,
à une absence de respect pour
l’autre, il appartient aux porteurs
du ruban bleu de redonner du sens
aux valeurs fortes que sont le
civisme, l'entraide, la solidarité,
la tolérance et le devoir de
mémoire.
Il y a quelques années encore,
Pierre Desproges déclarait que l’on
« pouvait rire de tout » même s’il
ajoutait : mais « pas avec
n’importe qui ».Il avait tort, car
même devant un auditoire
particulièrement choisi, comment
rire devant l’attitude abjecte d’
« êtres humains » crachant sur le
cadavre démembré et dénudé d’une
jeune femme, devant des bébés jetés
vivants dans des fours, devant le
lâche assassinat de professeurs, le
mitraillage aveugle de paisibles
consommateurs à la terrasse d’un
café, non décidément non, on ne peut
plus rire de tout.
Chers Compagnons, au sein d’une
société où le lien social se délite
un peu plus chaque jour, il convient
plus que jamais d'affirmer, de
promouvoir et de défendre les
valeurs fondamentales pour
lesquelles la Nation nous a
distingués.
La dégradation du lien social est un
défi majeur pour notre pays. Avec
d’autres, il convient de le relever
en participant activement à l'œuvre
collective qui consiste à mettre en
exergue les mérites exemplaires de
certains jeunes, et plus
généralement, à.
faire connaître et reconnaître tous
ceux qui, par leurs efforts
participent et contribuent, en
donnant le meilleur d’eux même, au
progrès social, intellectuel et
économique de la France.
Animés de ces valeurs,
nous serons assurés
d’être
dans la ligne de ce que souhaitait
le Général de Gaulle, créateur de
notre Ordre lorsqu'il affirmait:
« Soyons fermes, purs, fidèles aux
valeurs de la République: au bout de
nos peines, il y a la plus grande
gloire du monde, celle des Hommes
qui n'ont pas cédé».
Je
vous remercie de votre bienveillante
attention.
Jean Pierre Delattre.
Chevalier de l’Ordre National du
Mérite
Vice -président départemental de
l’Association Nationale des membres
de l’Ordre National du Mérite
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